Pour Mamadou, 8 ans...
Pour expliquer l’influence de Le Pen sur la société française, une idée fréquemment mise en avant consiste à en attribuer la responsabilité à la paupérisation, au chômage, aux questions d’insécurité vues sous l’angle étroit de maintien de l’ordre policier. Le dernier sondage TNS Sofres sur « L’image du FN dans l’opinion » (rapidement évoqué dans Journal d’école du 15/12/2005) conduit pourtant à infirmer cette vision, à vrai dire confortable pour beaucoup : il suffirait donc de réduire le chômage, de faire régner l’ordre dans les banlieues, de remplir encore davantage les prisons pour faire disparaître le spectre de l’extrême-droite. Les chômeurs et les pauvres, tous ceux qui s’inquiètent pour leur avenir, constitueraient donc le gros de l’électorat lepeniste. Mais pourtant, que dit ce sondage ? Outre la prépondérance, dans cet électorat, des retraités ou des classes d’un certain âge, c’est-à-dire qui n’ont plus vraiment lieu de redouter de perdre leur emploi, on observe que le thème de l’insécurité, par exemple, n’intervient que très à la marge parmi les motivations des sondés : seuls 26% « approuvent les prises de position de Le Pen sur la sécurité et la justice » , 34% réclament le rétablissement de la peine de mort (contre 61% en 1988). Ce n’est manifestement pas de Le Pen que les Français espèrent la prospérité et la tranquillité publique. Mais qu’attend-on alors dans ces conditions ? C’est tout bête : la défense des « valeurs traditionnelles de la France » que 73% des Français affirment trouver à l’extrême-droite.
Si les sondés auraient sans doute bien du mal à s’expliquer sur les valeurs en question, à leur donner un semblant de contenu, il est clair que le vote Le Pen est très massivement le résultat de mentalités, d’un état d’esprit, de façons de penser qui privilégient avant toutes choses, l’attachement à un pré carré où l’on serait chez soi entre Français : 40% pensent qu’ « on ne se sent plus chez soi en France », 53% que « la construction de l’Europe est une menace pour l’identité de la France ». Que l’on commence d’abord par nous dire ce qu’est l’identité de la France ! Ce n’est pas en légitimant ce fantasme identitaire, en le parant d’attibuts prétendument républicains, que l’on peut espérer contrer l’extrême-droite dont c’est là la valeur suprême. L’école, en privilégiant dans la formation morale et intellectuelle des enfants l’acquisition d’une « conscience nationale », en particulier par les programmes scolaires centrés sur l’histoire de France à l’exclusion de tout le reste, porte une responsabilité majeure dans la persistance du vote Front national. La Marseillaise rendue obligatoire à l’école primaire par un député d’extrême-droite, n’est pas d’une nature différente de celle que l’on entend chantée avec ferveur dans les meetings lepenistes.
Je dédie ce dernier message de l’année à Mamadou, un petit malien de 8 ans, que la police de Sarkozy vient de renvoyer brutalement, tout seul, à Bamako, alors que sa mère était venue l’attendre à l’aéroport (Le Monde, 29/12/2005). L’argument des flics laisse sans réaction : « Nous ne faisons pas la différence entre un enfant tentant d’entrer illégalement en France et tout autre immigré irrégulier (...). Nous appliquons la loi ». Les policiers de Sarkozy, voilà au moins des gens qui font honneur aux « valeurs traditionnelles de la France » chères à Le Pen...et à 73% de Français.