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Sortir de l'histoire de France
29 janvier 2006

Chirac à l'Ile Longue, histoire à l'école

La semaine dernière, le président de la république a donc fait savoir qu’il n’hésiterait pas à employer l’arme nucléaire dès lors que « les intérêts stratégiques de la France seraient menacés », comprenez qu’on utilisera la bombe atomique – avec combien de victimes à l’arrivée ? – rien que pour permettre aux automobilistes français de continuer à faire le plein. Prendre en otage des populations entières, des populations innocentes, lorsque Ben Laden s’y livre, c’est du terrorisme, lorsqu’il s’agit de Chirac ou de n’importe quel chef d’état, c’est de la bonne diplomatie, justifiée par la défense des intérêts supérieurs de la nation. Face à cette déclaration, le samedi suivant, les Français sont massivement descendus dans les rues...mais c’était pour faire les soldes et ce silence de l’opinion publique et des grands partis politiques, qui est en réalité une forme d’approbation, ce silence ne manque pas d’interpeller.

Quel rapport, demandera-t-on, avec l’histoire de France à l’école ? Dès l’école primaire, la guerre est omniprésente, elle constitue plus ou moins la trame chronologique des programmes : conquête romaine, invasions barbares, croisades, guerre de Cent ans, guerres de l’époque révolutionnaire et napoléonienne, guerres mondiales du 20e siècle etc. Arrivé en CM2, l’élève est persuadé que, dans leur histoire, les hommes n’ont fait le plus souvent que s’entretuer, que la guerre est comme inhérente à la nature humaine. Cette conviction est d’autant plus forte que les « grands héros de l’histoire de France », auxquels, à cet âge, on s’identifie sans peine, restent encore très majoritairement des guerriers ; Vercingétorix, Clovis, Charles Martel, les chevaliers des croisades, Jeanne d’Arc, du Guesclin et beaucoup d’autres. Cette approche de l’histoire à l’école, centrée sur la guerre, pourrait à la rigueur se comprendre s’il s’agissait d’en faire sentir toutes les horreurs et à quel point la guerre est toujours un crime, mais ce n’est pas le cas : pour un enfant, la guerre se ramène à des noms, des dates, parfois des jeux – à cet âge, on « joue » encore à la guerre, jamais aux souffrances ni à la mort. Un tableau du champ de bataille de Valmy le soir du 20 septembre 1792, lorsque des milliers de pauvres gens y meurent dans d’atroces souffrances, la description du monstrueux carnage fait par les croisés lors de la prise de Jérusalem en 1099, les enfants d’Hiroshima grillés vifs le 6 août 1945, tout cela refroidirait sans doute les enthousiasmes guerriers et ramenerait à leur véritable dimension ces fameux « héros », Dumouriez, Kellermann, Godefroy de Bouillon, Truman : en réalité des assassins. A l’école, on parle donc beaucoup de la guerre, mais on ne la montre pas, ou pas suffisamment pour en dégoûter les enfants.

L’enseignement de l’histoire conserve pour objectif de développer ches les enfants ce que les programmes appellent une « conscience nationale » ; ainsi une guerre « nationale » sera par principe juste et justifiée. Non seulement la guerre se trouve banalisée, débarrassée de son inhumanité mais elle se trouve parée d’une sorte de légitimité : lorsque c’est la France qui mène la guerre, elle a toujours raison de le faire, soit qu’elle ait été menacée, soit qu’elle ait devancé la menace. Et lorsque la justification s’avère vraiment problématique, comme c’est par exemple le cas des guerres louisquatorziennes dans le Palatinat ou des guerres coloniales, on préfère les taire comme si elles n’avaient jamais existé.

Ne jamais s’interroger sur les guerres, sur leur origine, leurs causes, souvent tellement futiles, ne jamais se demander si l’on pouvait les éviter, tout cela n’est sûrement pas de nature à faire naître chez le citoyen, chez l’adulte,  un regard critique, à provoquer un réflexe d’objection, de refus, devant des déclarations aussi effroyables, aussi démentes que celles d’un Chirac menaçant des populations entières des foudres nucléaires. Certes, nos sociétés de ce sinistre début de 3e millénaire font preuve d’une réelle indifférence envers tout ce qui ne les touche pas directement – à vrai dire, qui a réellement « entendu » les propos de Chirac à l’Ile Longue ? – il n’empêche que les enseignants qui ont une responsabilité non négligeable dans l’édification morale et intellectuelle des jeunes, devraient peut-être s’interroger un peu plus qu’ils ne le font sur les valeurs que les instructions officielles leur enjoignent de transmettre. Faire aimer la guerre ? Non merci.

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